Focus sur les éditions du Chemin de fer

Une lilliputienne de Béatrix Beck, vu par Annabelle Guetatra (15 €)

Lia Déminadour mesure quatre-vingt-dix-huit centimètres. Après avoir été élevée et chérie par sa sœur, elle se trouve soudainement jetée dans la vie adulte malgré sa taille d’enfant. Sa naïveté et sa candeur ont tôt fait l’épreuve des amitiés et des amours jamais dénués d’arrière-pensées. Mais Lia la naine harmonieuse, à l’instar de la plume d’orfèvre de Béatrix Beck, surmonte chausse-trapes et écueils comme par enchantement.
En donnant un féminin au nom de lilliputien, qui n’existe qu’au masculin, Béatrix Beck campe un personnage inoubliable, dans ce roman goguenard, insolent et néanmoins tendu par l’émotion. Grâce à sa maîtrise absolue de l’écriture, ses coq-à-l’âne et ses ellipses temporelles déconcertantes, elle fait de Lia la lilliputienne une de ses plus grandes héroïnes.
Annabelle Guetatra recompose joyeusement la vie trépidante de Lia, brode sur un détail, s’arrête sur une image. Ses personnages malicieux nous étonnent et sautent d’une page à l’autre en rejouant l’histoire à leur manière, aussi subjective que ludique.

Finir l’autre de Justine Arnal, vu par Anya Belyat-Guinta (14 €)

Nous ne naissons pas prêts. Pas suffisamment prêts, pas suffisamment bien finis. Nous naissons avec un corps mais nous n’avons pas de mots dedans. Et si c’était l’inverse ? Si nous naissions sans corps achevé, mais avec tous les mots pour penser, avant même d’avoir une bouche pour les employer ? Si nous naissions seulement en étant une petite boule de chair pleine de mots ?
Vous êtes dans Finir l’autre, où la mère – armée d’un rouleau à pâtisserie et d’autres instruments tout aussi improbables – s’attelle à construire un corps en bonne et due forme… sans y parvenir vraiment puisqu’en grandissant, l’enfant nous expose les nombreux dysfonctionnements qui l’empêchent d’être tout à fait comme les autres.
Fantasque, truculent et grinçant, Finir l’autre raconte l’histoire d’un corps qui peine à répondre aux attentes de l’autre et qui refuse pourtant obstinément de rentrer dans le rang.
Après le très remarqué Les corps ravisFinir l’autre confirme l’écriture et l’univers sans pareils de Justine Arnal, une voix avec laquelle il faut désormais compter.
Qui d’autre qu’Anya Belyat-Giunta pouvait incarner ces circonvolutions de chair, ces tourbillons de langage qui nous emportent et nous grisent ?

Le pin, les moineaux, et toi et moi, nouvelles inédites de Katherine Mansfield, traduit de l’anglais par M.-O. PROBST (23 €)

Loin du seul lyrisme dans lequel on l’a souvent cantonnée, la prose de Katherine Mansfield y est tantôt poétique, tantôt théâtrale, tantôt pleinement satirique ; elle multiplie les registres et les tonalités, mélange les emprunts à l’histoire littéraire.
Dans la voix impalpable qui anime les nouvelles de Katherine Mansfield, quelque chose reste toujours en souffrance : une secrète obsession du temps et de la mort, la menace constante de la solitude ou de l’abandon, un cri sourd contre toute forme de violence, mais aussi les palpitations joyeuses du “moment de vie” lorsque celui-ci annule la fuite perpétuelle du présent : le rire d’un enfant, les mots réconfortants d’un parent ou d’un ami, le bruissement délicieux de la nature.
Le 3 février 1918, quelques mois après avoir publié la dernière nouvelle de ce recueil, dans une lettre restée célèbre, Katherine Mansfield fait part des deux forces agissantes à l’origine de son écriture : l’une “est la joie, la vraie joie”, celle qui lui permit si souvent d’écrire, et qu’elle tenta, sans relâche, “modestement” d’exprimer ; l’autre fut “un sens extrêmement profond du désespoir, le sentiment que tout est condamné au désastre”, un “cri contre la corruption”. C’est cette dualité que l’on trouvera dans bon nombre des nouvelles de ce recueil.

Focus sur les éditions Rue de l’échiquier

Passage piéton de Laurence Bril (12€)

En 2017, alors qu’elle est une journaliste hyperconnectée, Laurence Bril se sent de plus en plus débordée par sa vie numérique, à un point tel qu’elle décide d’appuyer sur stop et de prendre ses distances, au sens propre : pendant plus d’un an, elle va lâcher Internet et les réseaux sociaux… pour aller marcher. Au fil des chapitres, l’auteure témoigne des étapes de son cheminement personnel : comment elle a pris conscience de sa dépendance au « tout techno » et aux réseaux sociaux ; comment la marche s’est imposée comme une évidence, et comment la déconnexion du numérique s’est accompagnée d’une reconnexion avec la nature et avec elle-même. Dans la lignée de récits comme Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson ou Wild de Cheryl Strayed, Passage piéton est une magnifique ode à la marche, considérée comme un moyen de ralentir, de (re)découvrir la nature et de renouer avec l’essentiel, dans un monde qui va toujours plus vite. Avec un style fluide, Laurence Brill décrit l’évolution de sa pratique : pas sportive du tout, elle le devient un peu plus au fil des kilomètres, et se lance de nouveaux défis. Après le plaisir simple des petites balades, elle découvre la satisfaction profonde d’achever une randonnée de 35 kilomètres, puis l’intensité émotionnelle des trails en montagne et des courses. Une lecture vivifiante, qui donne envie de lâcher son smartphone, de chausser ses baskets et de partir s’aérer.

Moi, Mikko et Annikki de Titu Takalo traduit du finnois par Kirsi Kinnunen (21,90€)

D’inspiration autobiographique, cette très attachante bande dessinée est le récit de l’installation d’un jeune couple dans le quartier d’Annikki, l’un des très rares îlots historiques encore préservés de la ville de Tampere, en Finlande. Tiitu Takalo relate le combat acharné que mènent ensemble les habitants de ces maisons de bois face à la voracité sans limites des promoteurs immobiliers, souvent de mèche avec les édiles locaux. Cette chronique sensible est rythmée par le récit des moments forts de l’histoire de Tampere, depuis sa fondation à la fin XVIIIe siècle, et notamment son riche passé industriel et ouvrier. Ce choix narratif permet d’élargir le cadre du récit, de montrer que la richesse d’un quartier ou d’une ville réside dans son patrimoine, et que sa préservation est la clé de nos identités collectives comme de nos avenirs possibles. Tour à tour intimiste, historique et social, Moi, Mikko et Annikki est le journal d’une communauté en résistance, en prise directe avec les problématiques environnementales contemporaines : rénover plutôt qu’effacer, entretenir plutôt que détruire – ce qui lui donne tout naturellement sa place au sein de Rue de l’échiquier BD. Elle aborde des questions universelles : qu’est-ce qu’une ville, au fond ? Comment préserver son âme ? Comment résister à la pression immobilière et aux manipulations politiques dont elle s’accompagne ?

Biomimétisme & architecture de Michael Pawlyn, traduit de l’anglais par Elizabeth Lefer et Bruno Lhoste (26€)

Plus de 3,5 milliards d’années d’histoire du vivant ont donné d’innombrables exemples de formes, de systèmes et de processus qui peuvent être appliqués au design écologique moderne. Dans Biomimétisme et architecture, véritable recueil d’innovations durables, Michael Pawlyn propose aux architectes, aux urbanistes et aux designers de s’inspirer de la nature pour accroître radicalement l’effi cacité des ressources utilisées. Doté d’une très riche iconographie, cet ouvrage passe en revue les grandes problématiques architecturales et la façon dont le biomimétisme peut aider à les aborder : la solidité des structures, les matériaux de construction, les déchets, la gestion de l’eau, le confort thermique, l’utilisation de la lumière et la consommation énergétique.

Focus sur les éditions Esperluète

Les dessous de Béatrice Kahn (15,50 €)

Août 1963, café Le Central. Du haut de ses quatorze ans, Élisabeth n’est plus tout à fait une enfant, mais pas encore une femme. Sous la table où elle se réfugie après l’enterrement de son amie Thérèse, dans une France provinciale faite de conventions et de non-dits et où la guerre n’est pas si loin, elle écoute les adultes discuter entre eux. Elle écoute et se souvient. Des moments passés avec Thérèse, de sa relation avec sa mère, de ce qu’elle n’a pas su voir ou de ce qu’elle croit comprendre. Dans son esprit se croisent pensées et bribes des conversations du café, entrecoupées de sa lecture du journal intime d’Henriette, toute jeune fille à l’été 1939. Voix et temps s’entrelacent alors et tissent ensemble le récit d’une transmission. Béatrice Kahn signe un roman dense et familial où elle aborde avec justesse le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte, avec tous les questionnements qui y sont liés, et cette préoccupation majeure : comment se construire en gardant son intégrité, c’est-à-dire, aussi, comment faire avec ce qui nous précède, ce qui nous a été transmis souterrainement ?

Objets massifs de Virginia Woolf, mis en images par Anne Attali et Marie Van Roey et traduit de l’anglais par Pierre Nordon. Postface de Geneviève Brisac (22€)

Deux jeunes hommes, à l’orée de leur carrière, se tiennent sur la plage, visiblement en désaccord et en grand débat politique. L’un d’eux met la main sur un trésor : un morceau de verre poli, dense, lisse, doux, qui l’intrigue. Cet objet sera le point de départ de sa nouvelle quête. La matière devient sujet, objet de convoitise, elle se fait verbe et cristallise une rêverie, un poème du quotidien. Cette rêverie autour d’objets perçus comme des masses et des matières plutôt que des rebus sert d’axe autour duquel gravite le monde. Une collection qui semble perdre John dans son obsession, mais qui, finalement, au lieu du l’exclure du monde lui donne une autre place que celle convenue par la société. Cette nouvelle écrite en 1920 par Virginia Woolf trouve un nouveau souffle grâce aux deux artistes plasticiennes qui par leurs photographies, collages et montages offrent une nouvelle lecture de ce texte d’une étonnante actualité.

Focus sur les éditions ypsilon

Toi, sanglante enfance de Michele Mari, traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro (17€)

Les onze récits de ce recueil se suivent tels des ricochets à la surface d’une eau profonde comme la mémoire. Entre autobiographie et fiction, les chocs de l’enfance ressurgissent sous une plume à vif et bouleversent le lecteur pris au jeu d’une féroce mélancolie.
Et si quelque part dans le temps était gardé tout ce que nous avons aimé quand nous étions enfants ? Le passé raconté ici est celui mythique et irrécupérable de l’enfance, érodé au cours des années par une diaspora d’objets et de sentiments dont le souvenir continue de saigner. Pourtant, dans ces récits, il n’y a pas le regret d’un âge d’or perdu, car la violence visionnaire de l’auteur recrée un univers où les seules images amies sont celles des monstres personnels et de quelques jouets, simples mais « fatidiques ».

Le cheval de Vladimir Maïakovski, traduit du russe par Jean-Baptiste Para (13€)

« Ma plus récente passion est la littérature pour la jeunesse » déclarait Maïakovski en 1927.
« À mesure que je grandis / un cavalier s’éveille en moi » Un enfant demande à son père un cheval. Il n’y en a plus dans les rayons du magasin : il faut donc en fabriquer un ! Commence ainsi l’histoire de cette « monture de feu », construite collectivement par les artisans — menuisier, brossier, peintre, forgeron — auxquels l’enfant et le père rendent visite. 

Le cheval de feu, superbement illustré et mis en page par Lidia Popova, fut publié à Moscou en 1928.

Moi, le Suprême d’Augusto Roa Bastos, traduit de l’espagnol par Antoine Berman (25€)

Né sous le signe du Capricorne, il aimait braquer le télescope sur les cieux équinoxiaux. Seul à sa naissance et à sa mort, le même cri à la bouche : L’indépendance ou la mort ! C’est l’histoire de José Gaspar de Francia dite, dictée et écrite par lui-même sous la plume d’Augusto Roa Bastos. Plume reçue de Raymond Roussel, trempée dans l’encre sanglante de la Révolution française, inspirée par les Lumières mais aussi par Montaigne, Pascal et Rousseau. Écrire sur le pouvoir, c’est écrire sur les pouvoirs de l’écriture, l’auteur doit reconnaître sa responsabilité comme faire connaître celle du dictateur. La dissection de ces mécanismes est un défi, ici vécu absolument et intimement, via un monologue à plusieurs voix du double personnage de ce roman fleuve en crue qui transporte le lecteur au coeur de l’Amérique latine et de notre conscience politique et humaine.

Nous avons aimé

Aux éditions Light Motiv, Le monde d’après de Thierry Girard :

Thierry Girard est un photographe qui s’inscrit dans « l’épaisseur du paysage » et décide de revenir sur ses traces dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, comme un retour à l’origine de son travail photographique. Le Monde d’après entremêle ces visions d’un territoire bouleversé, saisi à presque quarante ans d’écart par le même homme, photographe tourné vers le « vif du monde » qui a lui-même évolué dans sa manière d’être là et dans ce qu’il nomme, comme un artisan, la façon du regard.

Aux éditions Invenit, Le système poétique des éléments de Jeanne Hervé-Maley et Laurent Margantin :

Réuni.e.s au sein du Laboratoire Novalis aux fins de recherches chimico-poétiques, 118 poète.sse.s, français.es et belges, se sont toutes et tous emparé.e.s d’un des 118 éléments du tableau périodique de Mendeleïev. À l’image de notre monde naturel et de la variété de ses briques élémentaires qu’en sont les atomes, leurs fragments poétiques forment un univers en lui-même. Avec ces textes se rétablit un lien analogique entre le langage et les éléments.

Aux éditions À Pas De Loups, Bienvenue de Raphaële Frier et Laurent Corvaisier:

Bienvenue c’est le nom d’une grande maison. Elle a été très belle et pleine de vie, mais maintenant elle est vide et triste : on a construit une autoroute juste à côté, et ses propriétaires se sont enfuis. Mais le vacarme n’effraie pas la famille de Laszlo qui n’a nulle part d’autre où aller.

Aux éditions Rue de l’échiquier, Intraitable Tome 1 de Choi Kyu-Sok :

Et si le monde du travail devenait l’une des lignes de front de la confrontation avec les multinationales et leurs pratiques ? Au tournant des années 1990 et 2000 en Corée du Sud, dans un environnement social durement marqué par les retombées de la crise financière en Asie, Gu Go-shin est un étrange et charismatique combattant syndical. À la tête d’une petite agence-conseil de défense des travailleurs, il mène avec coeur et maestria diverses opérations-chocs pour promouvoir leurs droits, à la manière d’un chef de commando.

Aux éditions Esperluète, La tête dans la haie d’Anne Herbauts :

Hors du jardin bien organisé, elle observe la vie qui fourmille. Elle nous raconte la nécessité des assonances, du sauvage, de la caillasse, des cairns, et met en abîme la question du réel, celui de l’histoire, de l’auteur et du lecteur. « Il vaut mieux donner des livres qui ne sont pas lisses aux enfants. ». Assurément, elle leur donne avant tout des livres à partager. Pour Anne Herbauts, il ne faut pas rester au milieu du jardin – dans ce qui est connu et reconnu – il vaut mieux expérimenter d’autres dimensions et mettre la tête dans la haie.

Aux éditions Rue de l’échiquier, Mes soupes bio et zéro déchet de Stéphanie Faustin :

Des recettes originales et créatives pour se régaler de soupes tout au long de l’année ! Faciles et rapides à préparer, en morceaux ou mixées, chaudes ou froides, sucrées-salées, épicées, cuites ou crues, les soupes peuvent se décliner de multiples façons pour plaire et surprendre tous les palais. Plus ou moins épaisses, légères ou plutôt nourrissantes, seules ou agrémentées de topping d’oléagineux, de champignons ou de céréales, ou encore accompagnées de tartines (pains aux graines, sans gluten, Pain des Fleurs, crackers…) ou de crudités, les soupes sont bonnes pour la santé, à consommer sans modération, et peuvent constituer un plat à part entière, gourmet et gourmand, au dîner comme au déjeuner.

Aux éditions Le Passager Clandestin, Françoise d’Eaubonne et l’Écoféminisme de Caroline Goldblum et Françoise d’Eaubonne :

« Et la planète mise au féminin reverdirait pour tous! ». Écrivaine libertaire et prolifique, militante chevronnée, pionnière du mouvement féministe et de la décroissance, Françoise d’Eaubonne (1920-2005) est à l’origine du concept d’écoféminisme. L’oppression patriarcale des femmes et l’exploitation capitaliste de la planète découleraient des mêmes mécanismes de domination et doivent donc être combattues ensemble. Incompris voire tourné en dérision en France, son projet de muter vers une société autogestionnaire, fondée sur l’égalité des sexes, des peuples et la préservation de la nature fait largement écho aux idéaux de la décroissance. Caroline Goldblum nous montre la pertinence et l’actualité des idées et modes d’action écoféministes dans un contexte d’urgence climatique.

Aux éditions FLBLB, 3000 ans pour en arriver là de Grégory Jarry et Otto T. :

Quand on met le monde actuel en équa­tion, on se rend compte que toutes les courbes qui dési­gnent des trucs horribles (réchauf­fe­ment clima­tique, dispa­ri­tion des espèces, défo­res­ta­tion, etc) sont des expo­nen­tielles. Expo­nen­tielles, ça veut dire que ça va de plus en plus vite et que rien semble pouvoir stop­per l’em­bal­le­ment. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les scien­ti­fiques qui travaillent sur ces ques­tions se mettent-ils tous en arrêt de travail pour dépres­sion nerveuse ? Dit comme ça, on se demande à quoi ça sert de se poser toutes ces ques­tions, puisque tout semble fichu. Mais en fait peut-être pas. Ou pas complè­te­ment. Enfin on vous dit pas, vous aurez la surprise à la fin.

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